Libretto: La Vestale

from Gaspare Spontini


Personnages

LICINIUS, général romain
CINNA, chef de légion
LE SOUVERAIN PONTIFE
LE CHEF DES ARUSPICES
UN CONSUL
JULIA, jeune vestale
LA GRANDE VESTALE

CHOEUR

La scène est à Rome.



ACTE PREMIER

Le théâtre représente le forum. A gauche l'atrium, ou logement particulier des vestales, qui communique par une colonnade au temple de Vesta; sur le même côté et vis-à-vis l'atrium le palais de Numa et une partie du bois sacré qui l'entoure. Le fond représente le mont Palatin et les rives du Tibre.
On voit sur la place les préparatifs d'une fête triomphale. Le jour commence à peine.


SCÈNE PREMIÈRE
Licinius, Cinna.

Pendant la ritournelle, Licinius est appuyé contre une des colonnes de l'atrium; Cinna sort du bois
sacré.


CINNA
Prés de ce temple auguste à Vesta consacré,
Pourquoi Licinius devance-t-il l'aurore?
D'ennuis et de chagrin ton cœur est dévoré;
Confie à l'amitié ton secret qu'elle ignore.
Licinius veut s'éloigner.
Tu me fuirais en vain, j'accompagne tes pas.

LICINIUS
montrant l'atrium
Ces murs, ces murs sur moi ne s'écrouleront pas!
Suis-je assez malheureux!

CINNA
Toi! lorsque la victoire
A consacré ton nom au temple de mémoire;
Quand ton bras, signalé par d'immortels exploits,
De nos murs ébranlés chasse enfin les Gaulois;
Quand tu rentres vainqueur au sein de ta patrie?

LICINIUS
Eh! que me font de vains honneurs,
De stériles lauriers, d'importunes grandeurs?
Que me fait Rome entiere, et ma gloire, et ma vie?

CINNA
Quels vœux, Licinius, peux-tu former encor?
Ne vois-je pas déjà ta pompe triomphale,
Et sur ton front le laurier d'or
Attaché par les mains de la jeune vestale?

LICINIUS
Que dis-tu, malheureux?

CINNA
D'où vient que tu frémis?
Quel trouble, quel transport égarent tes esprits?

Air

Dans le sein d'un ami fidele
Tu crains d'épancher ton secret;
Tu ne me vois plus qu'à regret:
Voilà donc le prix de mon zele!
Ta réserve à mon cœur
Serait moins importune,
Si tu me cachais ton bonheur;
Mais d'un ami dans l'infortune
Je veux partager la douleur.

LICINIUS
Eh bien! partage donc mon crime et ma fureur;
Partage de mes feux la violence extrême,
Et dispute à Vesta sa prêtresse que j'aime.
Tu connais mon destin.

CINNA
Tout mon sang s'est glacé
Des plus affreux malheurs je te vois menacé.
Quel démon t'inspira cette ardeur sacrilège?

LICINIUS
Elle était pure alors. Ami, te le dirai-je?
Julia, cet objet de tendresse et d'effroi,
Par sa mere jadis fut promise à ma foi;
Mais le chef orgueilleux d'une illustre famille
Ne pouvait consentir à me donner sa fille,
Quand la gloire ignorait et ma race et mon nom?
Je volai dans les camps; ma noble ambition
Par des travaux heureux a signalé ma vie:
Vainqueur, après cinq ans je revois ma patrie,
Je m'enivre en espoir du bonheur que j'attends!
Revers cruel, affreuse destinée!
Par un pere expirant aux autels enchaînée,
Julia de l'amour a trahi les serments.

CINNA
Que je te plains!

LICINIUS
C'est trop peu de me plaindre.

CINNA
Eh! qu'esperes-tu?
LICINIUS
Rien; mais je suis las de craindre.

CINNA
Ne t'abandonne pas à ce fatal transport;
Songe aux lois, songe aux dieux que ton amour offense
Terrible est leur courroux, terrible est leur vengeance.

LICINIUS
Eh bien! je subirai mon sort.
Je connais le péril, j'ai mesuré l'abyme;
Et, pour m'arracher à mon crime,
Cinna, ton amitié ferait un vain effort.
De mes coupables feux telle est la violence,
Que des dieux même la puissance
Ne peut à mon amour opposer que ma mort.

CINNA
J'ai montré les dangers où ta fureur s'engage;
L'amour veut les braver, l'amitié les partage.

Duo

LICINIUS
Quand l'amitié seconde mon courage,
De quels périls pourrais-je être alarmé?
Repousse au loin ce funeste présage;
Vois mon bonheur, Cinna; je suis aimé!

CINNA
Puissent les dieux éloigner le présage
Oui vient saisir mon esprit alarmé!

LICINIUS
Vois mon bonheur, Cinna; je suis aimé!

LICINIUS, CINNA
Non, de ma flamme criminelle
Si de ta flamme criminelle
Rien ne peut arrêter le cours,
Cinna / O toi de tes / mes périls le compagnon fidele,
A tes hardis projets prêtera son secours
Dans mes hardis projets prête-moi ton secours.
Unis par l'amitié d'une chaîne éternelle,
A quel autre aujourd'hui pourrais-je avoir recours.
Sur la terre à moi seul tu dois avoir recours.

CINNA
Mais aujourd'hui du moins souffre que la prudence
Te rappelle ta gloire, et l'honneur qui t'attend:
Suis-moi; déja l'heure s'avance
Où tu dois en ces lieux revenir triomphant.

LICINIUS
Je la verrai, voilà mon espérance.

Ils sortent.

SCÈNE II
La Grande Vestale, Julia, Les Vestales.
Elles sortent de l'atrium, et chantent cet hymne dans le bois sacré, avant de se rendre au temple.


Hymne du Matin

LA GRANDE VESTALE
Fille du ciel, éternelle Vesta,
Répands ici tes clartés immortelles;
Conserve aux mains de tes vierges fideles
Le feu divin que ton souffle alluma.

LES VESTALES
Fille du ciel, etc.

Pendant cet hymne, Julia paraît absorbée dans la plus profonde méditation, et n'en sort que pour
s'appliquer les menaces que cet hymne renferme contre la prêtresse infidèle.


LA GRANDE VESTALE
Chaste déesse, à la seule innocence
Tu confias le soin de tes autels;
Les vœux impurs, les désirs criminels
N'osent soutenir ta présence.

LES VESTALES
Fille du ciel, etc.

LA GRANDE VESTALE
De ce lieu saint où l'univers t'adore
La vierge impie est bannie à jamais;
La flamme éteinte accuse ses forfaits;
La terre aussitôt la dévore.

LES VESTALES
Fille du ciel, etc.

LA GRANDE VESTALE
Prêtresses, dans ce jour, Rome victorieuse
Présenté à son héros le prix de la valeur:
C'est à vous qu'appartient l'honneur
De ceindre de lauriers sa tête glorieuse.
Vous verrez à vos pieds, sous ces arcs triomphaux,
Tout le peuple romain, et le sénat lui-même;
Vous verrez des consuls la majesté suprême
S'incliner devant vos faisceaux.
Allez au temple, et par des sacrifices
D'Astrée et de Janus faites des dieux propices.
Julia, demeurez.

Les vestales se rendent au temple par la colonnade qui y conduit.

SCÈNE III
Julia, la Grande Vestale.

LA GRANDE VESTALE
Pour la dernière fois,
Je viens de vos dangers vous présenter l'image,
De votre cœur ranimer le courage,
Et du devoir faire entendre la voix.
Vous portez à regret la chaîne qui vous lie,
Jusqu'au pied des autels vos regards éplorés
Attestent les chagrins dont votre ame est remplie:
Le culte de Vesta, ses mysteres sacrés,
Ne peuvent dissiper l'horreur qui vous assiege.
Un noir démon dans vos sens égarés
A versé le poison du desir sacrilege,
Et dérobe à vos yeux l'abyme où vous courez.

JULIA
Qu'exigez-vous de moi? Victime infortunée
Par la force enchaînée,
J'obéis à vos lois en pleurant sur mon sort.

LA GRANDE VESTALE
Sur la terre en est-il de plus digne d'envie?
C'est à nous que Rome confie
Du saint palladium le précieux trésor:
Les respects, les honneurs enchantent notre vie.

JULIA
à part
Et l'erreur d'un moment nous condamne à la mort.

LA GRANDE VESTALE
Dans une paix profonde,
Au sein du plus heureux séjour,
Nous recevons les hommages du monde,
Et nous bravons les dangers de l'amour.

JULIA
Hélas!

LA GRANDE VESTALE

Air

L'Amour est un monstre barbare,
Perfide ennemi de Vesta;
C'est dans les gouffres du Ténare
Que Tisiphone l'enfanta:
Par lui, de malheurs et de crimes
Ce monde impie est inondé;
Sur des tombeaux, sur des abymes
Son trône sanglant est fondé.
L'Amour est un monstre barbare,
Perfide ennemi de Vesta;
C'est dans les gouffres du Ténare
Que Tisiphone l'enfanta.

JULIA
avec effroi
Au nom des dieux, au nom de Vesta que j'adore,
Prêtresse, accordez-moi la grace que j'implore;
Souffrez que dans ces murs, cachée à tous les yeux,
Du triomphe sans moi la fête se dispose.

LA GRANDE VESTALE
Rien ne peut vous soustraire aux soins religieux
Que la loi vous impose.
C'est vous qui de Vesta, dans l'ombre de la nuit,
Surveillez la flamme éternelle;
C'est à vos pieds que le vainqueur conduit
Doit recevoir la couronne immortelle.

La grande vestale entre dans le temple.

SCÈNE IV

JULIA
seule
O d'un pouvoir funeste invincible ascendant!
C'en est fait, et des dieux je suis abandonnée.
Rebelle à mon amour, j'ai voulu vainement
Echapper à ma destinée:
J'ai voulu me priver du suprême bonheur
De voir à mes genoux Licinius vainqueur,
D'acquitter envers lui la dette de l'empire:
Déesse, à tes rigueurs cet effort doit suffire.

Air

Licinius, je vais donc te revoir;
J'entendrai de ta voix la douce mélodie;
Ton regard dans mon cœur va rallumer l'espoir;
Et du moins de ma triste vie,
Que les dieux au malheur condamnent sans retour,
J'aurai pu consacrer ce moment à l'amour.
Que dis-tu, perfide vestale? ....
Où t'emporte une erreur fatale? ....
Quel nom t'échappe en ce séjour!
Grace, dieux bienfaisants!

UNE VESTALE
sur les marches du temple
Prétresse, votre absence
Suspend le sacrifice; et déjà vers ces lieux
Du héros triomphant le char victorieux
Suit le cortege qui s'avance.

Julia entre au temple.

SCÈNE V
Julia, Licinius, Cinna, La Grande Vestale, Le Souverain Pontife, Consuls, Sénateurs, Dames Romaines, Vestales, Gladiateurs, Musiciens, Cortege Triomphal, etc.

Le cortège s'avance sur la place de divers côtés; il est précédé d'une foule de peuple qui remplit le fond de la scene. Viennent ensuite les prêtres des différents temples, à la tête desquels marchent le grand pontife, le chef des aruspices, le sénat, les consuls, les matrones, et les guerriers. Quand cette premiere partie du cortege a pris place, les vestales sortent du temple: la grande vestale porte le palladium. En sa qualité de vestale préposée à la garde du feu, on porte devant Julia un autel allumé.
Les vestales passent devant les troupes, qui leur rendent les honneurs suprêmes; le peuple s'agenouille, le sénat s'incline, les faisceaux des consuls s'abaissent devant ceux des vestales, portés par quatre licteurs: elles prennent place au sommet d'une estrade élevée près de l'atrium; les consuls et le sénat sont placés au-dessous d'elles. Le char du triomphateur paraît; il est précédé par les musiciens, les tibiaires, etc., et traîné par des esclaves enchaînés. D'autres chefs ennemis prisonniers suivent le char. Licinius est revêtu de la robe triomphale; il tient en main le bâton de commandant. Cinna marche à la tète des troupes.


Final

CHOEUR GÉNÉRAL
De lauriers couvrons les chemins;
Ornons le temple de Cybele;
Dans nos murs glorieux la paix enfin rappelle
Le vainqueur des Gaulois, le vengeur des Romains.

UN CORYPHÉE
Le trépas ou l'esclavage
Allait être le partage
Des enfants de Romulus;
Un héros à l'aigle altiere
Rend son audace premiere:
Nos ennemis sont vaincus.

CHOEUR GÉNÉRAL
De lauriers couvrons les chemins, etc.

GUERRIERS
Il est l'arbitre de la guerre,
Que son nom soit honoré!

FEMMES
Il donne la paix à la terre,
Que son nom soit adoré!

LICINIUS
sur son char
Mars a guidé nos pas aux champs de la victoire,
Nos étendards sont triomphants;
Les Romains sont encor les enfants de la gloire,
L'honneur des nations, et l'effroi des tyrans.
Des succès que leur main dispense
Rendons grace aux dieux immortels,
Et que l'encens de la reconnaissance
Brûle sur leurs autels.

Les consuls aident Licinius à descendre de son char, et le conduisent sous un trophée élevé sur la droite de l'avant-scene.

CHOEUR
Il est l'arbitre de la guerre,
Que son nom soit honoré! etc.

LA GRANDE VESTALE
à Julia
Sur le dépôt de la flamme immortelle,
Vous qui veillez dans la nuit solennelle
Qu'annonce au monde un jour si glorieux,
Consacrez, Julia, ce laurier précieux.

Elle lui remet la couronne d'or.

LICINIUS
à part à Cinna
Tu l'entends .... cette nuit .... Julia .... dans le temple ...

CINNA
à part à Licinius
Observe-toi, la foule nous contemple.

LA GRANDE VESTALE
à Julia
Au héros des Romains remettez en ce jour
Le noble prix de la victoire,
Et que pour lui le gage de la gloire
Le soit aussi de notre amour.

JULIA
prend la couronne, qu'elle passe sur le feu sacré.
Grands dieux! soutenez ma faiblesse.

LICINIUS
à part
C'est elle, ô transports pleins d'ivresse!

Pendant les cérémonies, auxquelles préside Julia, le peuple chante le chœur suivant.

CHOEUR
De Vesta chaste prêtresse,
Ornez son front radieux,
Et que nos chants d'alégresse
Portent son nom jusqu'aux cieux.

JULIA
Pendant le chœur précédent, elle traverse la scene, et monte sur l'estrade d'un pas chancelant.
Licinius s'agenouille devant elle. En lui mettant la couronne sur la tête, elle chante d'une voix altérée:


Jeune héros, de la gloire
Reçois le gage en ce jour;
Monument de ta victoire,
Qu'il le soit de notre amour.

LICINIUS
à Julia
Ecoute ... Julia ... sous ces portiques sombres ...

Ensemble

LA GRANDE VESTALE
regardant Julia
Son cœur est tourmenté;
Les pensers les plus sombres
Sur son front attristé
Ont répandu leurs ombres.

CINNA
à part à Licinius
Ton regard attristé
Trahit tes pensers sombres;
Une affreuse clarté
Peut sortir de ces ombres.

LE PONTIFE
d'un ton prophétique, et les yeux fixés sur l'autel des libations
Au sein de la clarté,
Quelles funestes ombres!
L'autel est attristé
De feux mourants et sombres.

JULIA
avec égarement
O moment redouté!
Sous ces portiques sombres
Mon œil épouvanté
Ne voit plus que des ombres.

LICINIUS
bas à Julia
Ecoute, Julia ... sous ces portiques sombres,
J'irai cette nuit même .... à la faveur des ombres,
T'arracher ....

JULIA
effrayée
Que dis-tu?

UN CONSUL
allant à Licinius
Magnanime héros,
La paix est en ce jour le fruit de vos conquêtes,
Jouissez dans son sein de vos nobles travaux,
Et comme à nos destins présidez à nos fêtes.

Julia va reprendre sa place auprès du feu sacré, et Licinius entre les deux consuls.
Les jeux, les danses, les combats de luteurs et de gladiateurs se succedent, et les vestales distribuent les prix aux vainqueurs.


LE PONTIFE
après les jeux
Peuple, cessez vos jeux; à Jupiter sauveur
Allons au Capitole immoler nos victimes,
Et des mains du triomphateur
Suspendre à son autel les dépouilles opimes.

Le cortege retourne au Capitole dans l'ordre où il est arrivé.


ACTE DEUXIÈME

Le théâtre représente l'intérieur du temple de Vesta, de forme circulaire. Les murailles sont décorées delames de feu. Le feu sacré brûle sur un vaste autel de marbre, au centre du sanctuaire. La vestale de garde a un siège ménagé dans le massif de l'autel, auquel on arrive par des gradins circulaires. Une porte de bronze occupe le fond de la scène; d'autres portes plus petites conduisent au logement particulier des vestales, et dans les autres parties du temple. Le palladium est placé sur un socle derrière l'autel.

SCÈNE PREMIÈRE
Julia, La Grande Vestale; Les Vestales.

Hymne du Soir

VESTALES
autour de l'autel
Feu créateur, ame du monde,
De la vie emblème immortel,
Que ta flamme active et féconde
Brille à jamais sur cet autel.

LA GRANDE VESTALE
en remettant à Julia la verge d'or qui sert à attiser le feu
Du plus auguste ministère,
Le signe révéré que je mets en vos mains,
Cette nuit, Julia, vous rend dépositaire
De la faveur des Dieux et du sort des Romains.
Cette heure auguste et solennelle
Vous met en présence des dieux;
Songez qu'ils puniront un soupir infidèle,
Et que ces voûtes ont des yeux.

LES VESTALES
en sortant
Feu créateur, âme du monde, etc.

SCÈNE II
Julia seule, dans l'attitude du plus profond accablement; elle s'agenouille sur les marches de l'autel, où elle reste un instant prosternée.

Air

JULIA
Toi que j'implore avec effroi,
Redoutable déesse,
Que ta malheureuse prêtresse
Obtienne grace devant toi.
Tu vois mes mortelles alarmes,
Mon trouble, mes combats, mes remords, ma douleur,
Laisse-toi fléchir par mes larmes,
Etouffe ma funeste ardeur.

Elle se lève, monte sur l'autel, et attise le feu.

Sur cet autel sacré, que ma priere assiege,
Je porte en frémissant une main sacrilege.
Mon aspect odieux
Fait pâlir la flamme immortelle:
Vesta ne reçoit point mes vœux,
Et je sens que son bras me repousse loin d'elle.

Elle parcourt la scene d'un pas égaré.

Eh bien! fils de Vénus, tu le veux, je me rends!
Où vais-je? ô ciel! quel délire
S'est emparé de mes sens! ...
Un pouvoir invincible à ma perte conspire;
Il m'entraîne, il me presse .... Arrête, il en est temps;
La mort est sous tes pas, la foudre sur ta tête ....

Avec délire

Licinius est là, je pourrais le revoir,
L'entendre, lui parler; et la crainte m'arrête! ....
Non, je n'hésite plus; l'amour, le désespoir
Prononcent mon arrêt.

Air

Suspendez la vengeance,
Impitoyables dieux!
Que le bienfait de sa présence
Enchante un seul moment ces lieux,
Et Julia, soumise à votre loi sévère,
Abandonne à votre colere
Le reste infortuné de ses jours odieux.
Le sort en est jeté, ma carriere est remplie:
Viens, mortel adoré, je te donne ma vie.

Elle ouvre la porte du temple, et va s'appuyer contre l'autel.

SCÈNE III
Julia, Licinius.

LICINIUS
au fond
Julia!

JULIA
C'est sa voix.

LICINIUS
Julia!

JULIA
L'autel tremble!

LICINIUS
Enfin je te revois!

JULIA
Dans quel temps! dans quels lieux!

LICINIUS
Le dieu qui nous rassemble
Veille autour de ces murs, et prend soin de tes jours.

JULIA
Je ne crains que pour toi.

LICINIUS
Des dangers que tu cours
J'ai repoussé l'image.
Par ce terrible effort, juge de mon courage.

JULIA
Licinius ....

LICINIUS
s'approchant
Reçois le serment que je fais;
Je vivrai pour t'aimer, te servir, te défendre.

JULIA
Au bonheur d'un instant je puis du moins prétendre.

LICINIUS
N'est-il donc point d'asile au milieu des forêts,
Sous un ciel étranger, dans quelque antre sauvage?
Dis un mot, un seul mot; d'un affreux esclavage
Je puis t'affranchir.

JULIA
Non, jamais.
Dispose de mes jours, je te les sacrifie:
Je dois compte des tiens aux dieux, à la patrie;
Et, parmi les périls qu'il m'est doux de braver,
Ta gloire est tout pour moi, je la veux conserver.

LICINIUS

Air

Les dieux prendront pitié du sort qui nous accable;
Ils ont jeté sur nous un regard favorable.
Fille du ciel, idole de mon cœur,
Sois à jamais l'arbitre de ma vie;
Un seul de tes regards est pour moi le bonheur;
Va, c'est aux immortels à nous porter envie:
Que puis-je desirer auprès de Julia?

JULIA
Auprès de celle qui t'adore,
Qui frémit de t'aimer en le jurant encore ....

LICINIUS
Vénus un jour nous unira;
C'est elle que mon cœur atteste.

JULIA
regardant l'autel
Eloigne-toi de cet autel funeste,
Le feu pâlit.

Julia monte sur l'autel, attise le feu. Licinius se retire avec frayeur dans le fond.

LICINIUS
Chaste divinité,
Dissipe un sinistre présage.
Tout mon crime, Vesta, c'est d'aimer ton image,
Et nos feux ont des tiens toute la pureté.

LICINIUS, JULIA
L'amour qui brûle dans notre âme
Ne saurait être criminel;
Nous avons épuré sa flamme
En l'allumant sur ton autel.

JULIA
La fille de Saturne entend notre priere:
De l'autel embrasé l'éclatante lumiere
Signale autour de nous la céleste faveur.

LICINIUS
Ah! je ne doutais pas d'un pouvoir que j'adore.
Quel dieu, quand Julia l'implore,
Pourrait, en l'écoutant, conserver sa rigueur!

JULIA
descend de l'autel, et s'approche de Licinius
Au bonheur je viens de renaître;
Du passé je n'ai plus qu'un faible souvenir,
Un nuage à mes yeux s'étend sur l'avenir,
Et l'instant où je suis réunit tout mon être.
Quel trouble!

Duo

LICINIUS
Quels transports!

JULIA
Je suis auprès de toi.

LICINIUS
De tes regards mon cœur s'enivre;
Sur cet autel sacré viens recevoir ma foi.

JULIA
A l'amour mon ame se livre;
Sur cet autel sacré viens recevoir ma foi

LICINIUS, JULIA
Dans l'ivresse du bien suprême,
J'oublie et la terre et les dieux.
O douce moitié de moi-même!
Le ciel est pour moi dans tes yeux.

LICINIUS
A l'amour mon ame se livre;
L'univers n'est plus rien pour moi.

JULIA
C'est pour toi seul que je veux vivre.

LICINIUS
Pour toi Licinius veut vivre.

JULIA ET LICINIUS
Sur cet autel sacré viens recevoir ma foi.

Au moment où les deux amants vont pour monter à l'autel, le feu, qui s'est affaibli par degré, s'éteint tout-à-coup, et le théâtre n'est plus éclairé que de la faible clarté qu'on peut supposer venir du dehors.

JULIA
Quelle nuit!

LICINIUS
Justes dieux!

JULIA
sur l'autel
Ma perte est assuré:
Plus d'espoir, j'ai vécu; la flamme est expirée.

LICINIUS
Que dis-tu?

JULIA
C'en est fait.

LICINIUS
Tu me glaces d'effroi.

SCÈNE IV
Les Mêmes, Cinna.

CINNA
se précipitant dans le temple.
Licinius!

JULIA
Quelle voix! ....

CINNA
Le temps presse:
Vers la premiere enceinte on entend quelque bruit;
Nous pouvons échapper dans l'ombre de la nuit;
Profitons des moments que le destin nous laisse.

LICINIUS
à Cinna
Regarde cet autel; le feu céleste est mort,
Et tu veux que je l'abandonne!

JULIA
Ta présence en ces murs, loin de changer mon sort,
Des horreurs du trépas sans espoir m'environne.

LICINIUS
à Julia, d'un ton égaré
Eh bien! suis-moi .... sortons.

CINNA
l'arrêtant
Que dis-tu, malheureux?
Tu vas creuser sa tombe.

LICINIUS
O désespoir affreux!
Julia!

CINNA
Quel délire!

Trio

JULIA
Ah! si je te suis chere,
Prends pitié de tes jours:
A ses maux étrangere,
Mon âme est tout entiere
Aux dangers que tu cours.
Au nom du saint nœud qui nous lie,
Quitte ces tristes lieux;
En t'éloignant, sauve ma vie.

LICINIUS
Dans ce temple odieux,
Je laisserais toujours ma vie.

CINNA
De ces funestes lieux
Eloignons-nous, je t'en supplie.
Viens.

Il le saisit.

LICINIUS
Moi, que je la quitte!

JULIA
Il le faut.

LICINIUS
Je ne puis.

CINNA
Un seul moment encore, elle meurt ....

LICINIUS
avec fureur, à Cinna
Je te suis.
Je n'en crois plus que mon audace.
à Julia
Mon amour t'a perdue, il doit te protéger:
Quel que soit aujourd'hui le sort qui te menace,
Je saurai t'y soustraire ou bien le partager.

CINNA
écoutant.
Les cris du peuple se font entendre en dehors.

Des sons lointains se font entendre,
Hâtons-nous de sortir.

LICINIUS
Dieux immortels, quel parti prendre?

CINNA
Fuyons.

JULIA
Fuyez.

LICINIUS
Que vas-tu devenir?

JULIA
Au nom de l'amour le plus tendre!

JULIA, LICINIUS, CINNA
Des sons lointains se font entendre,
Sortons / Sortez pour la / me défendre.

LICINIUS
Je vais te sauver, ou mourir.

Ils sortent.

SCÈNE V

JULIA
seule
Il vivra .... D'un œil ferme
Je puis de mon destin envisager l'horreur;
Mes jours étaient comptés par la douleur,
Un instant de bonheur en a marqué le terme,
Ne les regrettons pas .... On vient. Quelles clameurs!
Licinius! Grands dieux! s'il étoit .... Je me meurs.

Elle tombe évanouie sur les marches de l'autel.

SCÈNE VI
Julia, Le Souverain Pontife, Prêtres, Vestales.

Les prêtres entrent par la porte à droite, les vestales par celle de gauche. Licinius est sorti par le fond.
Le théâtre s'éclaire.


CHOEUR DE PEUPLE
en dehors
Les dieux demandent vengeance:
Deux sacrileges mortels
Ont souillé les saints autels
De leur indigne présence.

LE PONTIFE
O crime! ô désespoir! ô comble des revers!
Le feu céleste éteint! .... la prêtresse expirante!
Les dieux, pour signaler leur colere éclatante,
Vont-ils dans le chaos replonger l'univers?

Des vestales s'empressent autour de Julia.

JULIA
Eh! quoi je vis encore?

UNE VESTALE
O fille infortunée!

LE PONTIFE
Du temple de Vesta l'enceinte est profanée
Les dieux et le peuple d'accord
Poursuivent le forfait, réclament la victime.
Est-ce à vous d'expier le crime?
Répondez, Julia.

JULIA
Qu'on me mene à la mort:
Je l'attends, je la veux; elle est mon espérance,
De mes longues douleurs l'affreuse récompense:
Le trépas m'affranchit de votre autorité,
Et mon supplice au moins sera ma liberté.
Prêtre de Jupiter, je confesse que j'aime.

LE PONTIFE
Sous ces portiques saints, quel horrible blasphème!
Ainsi, du temple auguste outrageant tous les droits,
A vos vœux infidele, à vos serments parjure,
Votre cœur a trahi la plus sainte des lois.

JULIA
Est-ce assez d'une loi pour vaincre la nature?

Final

CHOEUR DE PRÊTRES
Sa bouche a prononcé l'arrêt;
La mort est due à son forfait.

Air

JULIA
O des infortunés déesse tutélaire!
Latone, écoute ma priere;
Mon dernier vœu doit te fléchir:
Daigne, avant que j'y tombe,
Ecarter de ma tombe
Le mortel adoré pour qui je vais mourir.

LE PONTIFE
Nommez ce mortel téméraire
Qui, de Vesta sur vous attirant la colere,
Dans l'enceinte sacrée osa porter ses pas.
Quel est son nom?

JULIA
Vous ne le saurez pas.

LE PONTIFE
Interprète suprême
Du céleste courroux,
Ma voix lance sur vous
Le terrible anathême.

JULIA
Le temps finit pour moi, mes jours sont effacés;
De la mort sur mon front je sens les doigts glacés.

LE PONTIFE
De ces lieux prêtresse adultere,
Préparez-vous à sortir pour jamais:
Allez dans le sein de la terre,
Allez au jour dérober vos forfaits.
Aux vestales
De son front, que la honte accable,
Détachez ces bandeaux, ces voiles imposteurs,
Et livrez sa tête coupable
Aux mains sanglantes des licteurs.

On dépouille Julia de ses ornements de vestale, qu'on lui donne à baiser.

CHOEUR GÉNÉRAL
De son front que la honte accable
Détachons / Détachez ces bandeaux, ces voiles imposteurs,
Et livrons / livrez sa tête coupable
Aux mains sanglantes des licteurs.

Le grand Pontife jette un voile noir sur la tête de Julia, qui sort escortée des licteurs, par la porte du fond;
les vestales et les prêtres sortent par les portes latérales.



ACTE TROISIÈME

Le théâtre représente le champ d'exécration, borné à gauche par la porte Colline et les remparts de Rome;
à droite par le cirque de Flore et le temple de Vénus Ericine.
On voit au fond le mont Quirinal, au sommet duquel s'éleve le temple de la Fortune.
Sur la porte du champ on lit Sceleratus ager.
On remarque sur la scene trois tombes de forme pyramidale: deux sont fermées d'une pierre noire, sur laquelle on lit en lettres d'or le nom de la vestale qu'elle renferme, et le millésime de sa mort.
La troisième, destinée à Julia, est ouverte; un escalier conduit dans l'intérieur.


SCÈNE PREMIÈRE

LICINIUS
seul et dans le plus grand désordre
Qu'ai-je vu! quels apprêts! quel spectacle d'horreur!
Mon ame s'abandonne à toute sa fureur.
Un aveugle transport me guide,
La terre frémit sous mes pas.
Allant vers la tombe ouverte
Le voilà ce gouffre homicide
Qui doit dévorer tant d'appas!

Air

Julia va mourir! .... Non, non, je vis encore,
Je vis pour défendre ses jours;
Contre des dieux cruels qu'en vain le faible implore,
L'amour, le désespoir me prêtent leur secours.

SCÈNE II
Licinius, Cinna.

LICINIUS
Cinna, que fait l'armée?

CINNA
Il n'en faut rien attendre.
On gémit, on te plaint, on n'ose te défendre.

LICINIUS
Les lâches!

CINNA
Tout le camp semble glacé d'effroi.
Mais pour mourir auprès de toi,
Je t'amene à ma suite
De guerriers et d'amis une troupe d'élite;
Rassemblés en secret sur le mont Quirinal,
De ton ordre avec eux j'attendrai le signal.

LICINIUS
O digne ami!

LICINIUS
Compte sur mon courage.
Des dangers près de toi j'ai fait l'apprentissage.

Air

Ce n'est plus le temps d'écouter
Les vains conseils de la prudence:
Mon bras, tu n'en saurais douter,
S'arme toujours pour ta défense.
Les dieux peuvent sur nous
Appesantir leur main puissante;
Mais tout l'effort de leur courroux
N'a rien dont mon cœur s'épouvante.
Il n'est pas au pouvoir du sort
De rompre le nœud qui nous lie,
Et le jour témoin de ta mort
Verra le terme de ma vie.
Mais avant de tenter un combat inégal,
Du pontife suprême invoque la puissance.

LICINIUS
De ce prêtre cruel l'aveuglement fatal
A de mon triste cœur banni toute espérance.

CINNA
Seul, il peut, détournant la colere des dieux,
Arracher la vestale au sort qu'on lui destine.

LICINIUS
Il doit se rendre ici.

CINNA
De la porte Colline
Je le vois s'avancer dans ces funestes lieux;
Je te laisse avec lui.

Il sort.

SCÈNE III
Licinius, Le Souverain Pontife, Le Chef des Aruspices.

LICINIUS
D'un sacrifice affreux
L'appareil se prépare:
Victime d'une loi barbare,
La beauté, la jeunesse est livrée aux bourreaux,
Et vivante descend dans la nuit des tombeaux.

LE PONTIFE
Tel est l'ordre des dieux.

LICINIUS
Cependant leur clémence
Peut laisser à ta voix désarmer leur vengeance.
Je viens pour Julia réclamer ton appui.

LE PONTIFE
Quoses-tu demander, quand l'état aujourd'hui,
Quand le salut de Rome exige une victime?

LICINIUS
Le salut des états ne dépend pas d'un crime.

LE PONTIFE
Ces tristes monuments te disent que jamais
Vesta n'a pardonné de semblables forfaits.

LICINIUS
Romulus en naissant bravait ta loi fatale;
Mars lui donna le jour au sein d une vestale.

LE PONTIFE
Julia doit mourir.

LICINIUS
Elle ne mourra pas.

LE PONTIFE
Les dieux demandent son trépas:
Qui pourrait s'opposer à leur ordre suprême?
Qui pourrait à leurs coups la soustraire?

LICINIUS
Moi-même.

LE PONTIFE
Téméraire, quel crime oses-tu concevoir?

LICINIUS
Connais-moi tout entier, connais mon seul espoir.
Je suis sou amant, son complice;
Et je dois l'arracher ou la suivre au supplice.

LE PONTIFE
Tu périras sans la sauver:
Contre un pouvoir divin, que tu prétends braver,
Ta gloire est une arme frivole.
La roche Tarpéienne est près du Capitole.

Duo

LICINIUS
C'est à toi de trembler:
Dans ma juste colere,
Mon bras peut ébranler
Ton autel sanguinaire.

LE PONTIFE
C'est à toi de trembler;
Le ciel a son tonnerre.

LICINIUS
Si Julia périt, redoute mes transports.

LE PONTIFE
Les dieux arrêteront tes criminels efforts.

LICINIUS
J'ai des amis que ma fureur anime:
Nous couvrirons ces champs de morts,
Et nous sauverons la victime.

LE PONTIFE
Tremble, tremble, tes vains efforts
Ne sauveront pas la victime.

Ensemble

LICINIUS
C'est à toi de trembler.
Dans ma juste colere,
Mon bras peut ébranler
Ton autel sanguinaire.
Si Julia périt, redoute mes transports:
Je veux qu'un horrible hécatombe
Signale ces moments affreux,
Et j'immolerai sur sa tombe
Toi, tes prêtres cruels, et moi-même après eux.

LE PONTIFE
C'est à toi de trembler:
Ta fureur téméraire
Ne saurait m'ébranler;
Le ciel a son tonnerre.
Les dieux arrêteront tes criminel efforts:
Ils ont accepté l'hécatombe;
Et, pour satisfaire à tes vœux
Bientôt ici sur cette tombe
Tes amis périront, et toi-même avec eux.

Licinius sort.

SCÈNE IV
Le Souverain Pontife, L'aruspice.

L'ARUSPICE
Différons, croyez-moi, l'instant du sacrifice.
Il est puissant, vainqueur ....

LE PONTIFE
Vénérable aruspice,
Reposez-vous sur moi du soin religieux
D'arrêter les efforts d'un jeune furieux.

L'ARUSPICE
Du peuple et des soldats si la foule égarée ....

LE PONTIFE
De nos divins autels la gloire est assurée.
Suivons notre devoir, et laissons faire aux dieux.

SCÈNE V
Julia, La Grande Vestale, Les Précédents, Peuple, Prêtres, Soldats, Dames Romaines, Jeunes Filles, Vestales, Consuls, etc.

Julia, conduite par des licteurs, est entourée par ses parents el par un chœur de jeunes filles. On porte devant elle un autel éteint. Les vestales portent les ornements de la vestale condamnée.


CHOEUR DE PEUPLE
pendant la marche du cortège
Périsse la vestale impie
Objet de la haine des dieux;
Que son trépas expie
Son forfait odieux!

CHOEUR DE JEUNES FILLES ET DE VESTALES
Tant de jeunesse, tant de charmes
Vont périr au sein des douleurs.
Dieux cléments! pardonnez les larmes
Que nous arrachent ses malheurs.

JULIA
Aux vestales, à la grande vestale
Adieu, mes tendres sœurs. O vous que je révere,
Du ciel en ma faveur désarmez le courroux;
A mes derniers moments tenez-moi lieu de mère;
Bénissez votre fille embrassant vos genoux.

Elle tombe à ses pieds.

LA GRANDE VESTALE
Ah! je le sens, pour toi j'ai le cœur d'une mere,
Et je bénis ma fille embrassant mes genoux.

JULIA
Plus heureuse, à présent, je puis quitter la terre.

Après ce mouvement, les licteurs séparent Julia de ses compagnes.

LE PONTIFE
auprès de l'autel de Jupiter, où il fait des libations
De Jupiter auguste sœur,
Vesta, déesse protectrice,
Ecoute nos chants de douleur,
Et que le sacrifice
Qu'exige ta justice
Soit le garant de ta faveur.

CHOEUR GÉNÉRAL
Ecoute nos chants de douleur, etc.

JULIA
sur le devant
Le désespoir, la honte, un supplice effroyable,
Dieux immortels, voilà mon sort!
Du sein de ces tombeaux quelle voix lamentable
M'appelle au séjour de la mort?

CHOEUR GÉNÉRAL
Périsse la vestale impie,
Objet de la haine des dieux, etc.

JULIA
Un peuple entier demande que j'expire,
Et presse les tourments qui me sont destinés;
Ma mort importe au salut d'un empire;
Eteignons sans regrets mes jours infortunés.

Air

Toi que je laisse sur la terre,
Mortel que je n'ose nommer,
Tout mon crime fut de t'aimer,
Et la mort ne peut m'y soustraire.
Hélas! dans ces moments d'horreur,
Autour de mon tombeau quand mon ame est errante,
De mon fatal amour la flamme dévorante
Brûle encor au fond de mon cœur.
Des dieux la justice offensée
En vain s'éleve contre moi;
Je t'adresse, en mourant, ma derniere pensée,
Et mon dernier soupir s'exhale encor vers toi.

Pendant cet air, on fait les préparatifs du supplice: on descend dans la tombe un lit, un vase de lait, etc.

CHOEUR DE FEMMES
Tant de jeunesse, tant de charmes,
Vont périr au sein des douleurs, etc.

LE PONTIFE
Dieux de cet empire,
Par un forfait outragés,
Que votre courroux expire;
Vous allez être vengés.

Aux vestales

Sur l'autel profané de la chaste déesse
Que le voile de la prêtresse
Soit suspendu dans ce moment;
Et si Vesta pardonne à son erreur funeste,
Aussitôt la flamme céleste
Va consumer l'indigne vêtement.

Les vestales vont placer la robe sur l'autel; tous les yeux y restent fixés.

CHOEUR DE FEMMES
Vesta, nous t'implorons pour la vierge coupable;
Fais briller à nos yeux ta clarté secourable.

Il se fait un long silence.

LE PONTIFE
remettant à Julia une lampe allumée
Les dieux ont prononcé ton juste châtiment,
La mort doit expier le crime.
Licteurs, dans son tombeau descendez la victime.

JULIA
sur les marches du souterrain
Adieu .... tout! …

SCÈNE DERNIÈRE
Les Mêmes, Licinius, Cinna, Soldats.
Ils se précipitent du mont Quirinal.


LICINIUS
Arrêtez, ministres de la mort!

JULIA
appuyée sur la balustrade qui entoure sa tombe, une partie du corps en terre
C'est sa voix!

LICINIUS
Vous allez immoler l'innocence.
C'est moi qui de Vesta mérite la vengeance:
Je suis seul criminel, ordonnez de mon sort.

CHOEUR
Licinius! ô dieux!

LICINIUS
C'est moi de qui l'audace
Secondant un aveugle amour,
De Vesta, dans la nuit, profana le séjour:
La prêtresse qu'ici votre courroux menace,
Julia, n'eut point part au crime de mes feux.
Qu'elle vive, et mon sang va couler à vos yeux.

Il appuie un glaive sur sa poitrine.

JULIA
Le courage toujours à la pitié s'allie:
Pour suspendre ma mort, il brave le trépas;
Mais à ma faute en vain ce héros s'associe;
Il vous trompe, Romains; je ne le connais pas.

LICINIUS
avec fureur
Tu ne me connais pas!

CHOEUR DE PRÊTRES
Le forfait les rassemble;
Qu'ils périssent ensemble.

CHOEUR DE GUERRIERS
C'est un héros, c'est notre appui.
Avant que du vengeur de Rome
La perte à nos yeux se consomme,
Nous périrons tous avec lui.

CHOEUR DE PRÊTRES ET DE PEUPLE
Le forfait les rassemble;
Qu'ils périssent ensemble.

LE PONTIFE
au peuple
Romains, de vos autels soyez les défenseurs.

LICINIUS
aux siens
De l'innocence, amis, soyez les protecteurs.

CHOEUR DE PRÊTRES
Qu'elle meure!

LICINIUS
Tremblez!

JULIA
De cette lutte impie
Prévenons les dangers en terminant ma vie.

Elle descend dans le souterrain, dont les licteurs ferment aussitôt l'ouverture.
Au même moment le peuple et les soldats qui tiennent pour le grand-prêtre se rangent devant l'entrée du
souterrain, et se préparent à recevoir les soldats de Licinius.


LICINIUS
aux siens
Suivez-moi, compagnons.

Au moment où l'on se prépare à en venir aux mains, le ciel s'obscurcit tout-à-coup; la foudre gronde avec fracas; la scene n'est plus éclairée que du feu des éclairs.

CHOEUR GÉNÉRAL
O terreur! ô disgrâce!
La nuit couvre ces lieux;
La foudre nous menace:
Est-ce justice ou grace
Que vont faire les dieux?
Effroyables tempêtes!
L'air brûlant sur nos tètes
Roule en torrents de feux.
O terreur! ô disgrace, etc.

Les soldats, qui ne se voient plus, et qui sont glacés d'effroi, se mêlent sans combattre.
Licinius et Cinna descendent dans la tombe, et à la fin de la derniere partie du chœur, le fond du théâtre s'ouvre dans sa partie élevée, et laisse voir un volcan de feu d'où la foudre s'échappe et vient embraser sur l'autel la robe de la prêtresse. Le feu reste allumé.


LE PONTIFE
Soldats, peuple, arrêtez!
Quel ravissant spectacle!
Le ciel, par un miracle,
Manifeste ses volontés.
Licinius et Cinna ont ramené sur le devant de la scène Julia évanouie; elle reprend insensiblement
ses esprits.

Voyez sur cet autel la flamme étincelante.

LICINIUS ET CINNA
O ciel!

JULIA
Où suis-je? et qu'est-ce que je vois?

LE PONTIFE
Une déesse bienfaisante,
Révoque en ce moment ses rigoureuses lois;
Mars a désarmé sa colere,
Et Vesta d'une chaîne austere
Délivre sa prêtresse, et couronne ton choix.

JULIA ET LICINIUS
Qu'entends-je? quel espoir!

LE PONTIFE
Sa puissance divine
Vous dérobe l'aspect de ces funestes lieux:
Le temple du pardon va s'ouvrir à vos yeux;
Adorez Vénus Erycine.

Le pontife s'éloigne, et les vestales sortent avec lui, emportant le feu sacré.

Le théâtre change, et représente le cirque de Flore et le temple de Vénus Erycine.

PRÊTRESSES DE VÉNUS
Mortels, renaissez au bonheur;
Parez-vous des fleurs les plus belles:
Vénus de deux amants fideles
En ce jour couronne l'ardeur.

JULIA
O clémence infinie!
Le flambeau de mes jours vient de se rallumer;
Je reçois de l'amour nue nouvelle vie,
à Licinius
Et je la reçois pour t'aimer.

LES PRÊTRESSES DE VÉNUS
conduisant Julia à l'autel
Amante fortunée,
Consacrez vos serments aux autels d'Hyménée.

Duo du deuxième acte

JULIA
à Licinius
Sur cet autel sacré, viens recevoir ma foi.

LICINIUS
De tes regards mon cœur s'enivre;
L'univers est changé pour moi.

JULIA
C'est pour toi seul que je veux vivre;

LICINIUS, JULIA
Sur cet autel sacré, viens recevoir ma foi.

CHOEUR FINAL
L'espoir est rentré dans notre ame;
Nos prieres, nos pleurs ont appaisé les dieux:
Vesta sur son autel a rallumé la flamme
Qu'elle conserve dans les cieux.

La pièce se termine par des jeux et des danses analogues an culte de Vénus Erycine, dans lesquelles on célebre l'hymen de Licinius et de Julia.