Un conte de la réalité

Jacques Schmitt , ResMusica (15.09.2008)

Les Contes d'Hoffmann, 06.09.2008, Bern

Dans le décor sordide d’un gazomètre désaffecté, Hoffmann poursuit inlassablement le propre emprisonnement de son personnage. Non-voyant au royaume des aveugles, pantin dans un univers de marionnettes, il est prisonnier de son insatisfaction amoureuse devant les trois femmes qui s’offrent à lui. Possédé par le diable, il s’identifie au démon jusqu’à en mimer les gestes, sa bouche muette prononçant les mêmes mots que son guide maudit. C’est le choix scénique de Johannes Erath qui signe une mise en scène admirable de clarté et de mouvement. Si déjà il avait séduit dans Cendrillon de Massenet (une mise en scène couronnée du prestigieux prix Gœtz-Friedrich) présenté sur cette même scène l’an dernier, cette récidive confirme son énorme talent de conteur. Un conte montrant la cruelle réalité de nos existences de nantis aveugles à notre propre bonheur. Les images se succèdent avec une extraordinaire intelligence dans l’expression du récit. Si les interprétations de cette œuvre permettent les images les plus fantaisistes, les projections fantasmagoriques les plus diverses, les imperméabilités scéniques les plus inimaginables, jamais Johannes Erath n’oublie la cohérence du propos. Dirigeant acteurs et chœurs comme dans un film, il nous entraîne dans le monde misérable d’Hoffmann rongé par le doute, incapable de décider de son propre avenir.

Malheureusement, l’interprétation vocale se situe bien loin de l’énergie créatrice de la mise en scène. À commencer par le ténor Fabrice Dalis (Hoffmann) dont l’instrument, usé jusqu’à la corde, n’offre plus le moindre intérêt. Avec sa voix complètement déstructurée, sans éclat, de projection nasale, la justesse de ton et la diction totalement défaillantes, le ténor procure une suite de malaises pour tout un chacun à l’ouïe sensible. À ses côtés, embarrassée dans un personnage qu’elle ne sent ni scéniquement, ni vocalement, Claude Eichenberger (Nicklausse) déçoit. Elle récite mollement sa partition comme si son personnage était étranger à l’intrigue.

Quant aux démons de l’œuvre, s’ils sont un véritable cadeau musical d’Offenbach à leur interprète, la basse Carlos Esquivel (Lindorf, Coppelius, Dr Miracle, Capitaine Dapertutto) n’en tire malheureusement pas tout le parti qui lui est offert. Certes la voix est magnifique, dotée d’une remarquable étendue de registre, mais elle reste à l’état d’ébauche interprétative, particulièrement en ce qui concerne l’élocution française ? Imposant sa stature à la majesté du seul personnage aux enjeux bien précis, il n’arrive pas à convaincre ne colorant jamais sa voix en fonction des différents personnages qu’il incarne tout au long des rencontres d’Hoffmann avec ses héroïnes malheureuses. Parmi celles-ci, Hélène Le Corre (Antonia) s’affirme dans l’excellence d’un personnage tragique et frustré qu’elle magnifie aussi bien vocalement que scéniquement. À ses côtés, la soprano Heidi Wolf (Olympia) est une poupée idéale. Si vocalement, elle prend quelques libertés avec la justesse, sa petite taille permet au metteur en scène de la valoriser scéniquement sans la faire tomber dans la caricature habituellement discutable de ce personnage. Olympia est admirablement présentée par son mentor Spalanzani, magnifique Xavier Rouillan. Le jeune ténor chante avec une exceptionnelle attention portée à la diction française, ce qui, avec la clarté de sa voix, en fait l’un des meilleurs interprètes sur le plateau. Tout comme la soprano Fabienne Jost (Giulietta) dont la trop courte intervention laisse cependant entendre sa parfaite préparation vocale.

Le soin avec lequel Johannes Erath s’occupe de mettre en scène les choristes montre, si besoin était, qu’il ne laisse rien au hasard. Se sentant un personnage de l’intrigue, le chœur du Stadttheater de Berne s’investit avec talent dans cette responsabilité scénique. Il n’en chante que mieux, tout comme le Berner Symphonieorchester qui n’a jamais paru aussi légèrement musical que dans cette partition. La baguette bien inspirée de Srboljub Dinić n’est certainement pas étrangère à la réussite du spectacle.