Libretto: Le Comte Ory

von Gioacchino Rossini


Personnages

LE COMTE ORY, seigneur châtelain (Ténor)
LE GOUVERNEUR, tuteur du comte Ory (Basse)
ISOLIER, page du comte Ory (Mezzo-Soprano)
RAIMBAUD, chevalier et compagnon de folies du comte Ory (Basse)
LA COMTESSE DE FORMOUTIERS (Soprano)
RAGONDE, tourière du château de Formoutiers (Mezzo-Soprano)
ALICE, jeune paysanne (Soprano)

CHOEUR
Paysans et paysannes, Dames d'honneur de la comtesse, Chevaliers, Compagnons du comte Ory, Écuyers




Prélude

ACTE PREMIER

SCÈNE PREMIÈRE

Le théâtre représente un paysage.
Dans le fond, à gauche du spectateur, le château de Formoutiers, dont le pont-levis est praticable.
A droite, bosquets à travers lesquels on aperçoit l'entrée d'un ermitage. Des paysans et des paysannes sont occupés à dresser un berceau de feuillage et de fleurs.



N° 1 - Introduction

RAlMBAUD
Jouvencelles, venez vite,
Ecoutez le sage ermite,
Il va paraître en ces lieux.
Qu'en rentrant à l'ermitage,
Il reçoive à son passage
Nos offrandes et nos voeux.

ALICE, LE CHOEUR
L'on respecte sa science
Car il donne l'opulence,
Le savoir et des époux.

RAIMBAUD
cachant sous son manteau son habit de chevalier
Taisez-vous, du silence;
II faut craindre sa puissance.
J'ai l'honneur de le servir.

ALICE, LE CHOEUR
Il faut craindre sa puissance.

RAIMBAUD
Vous riez?

ALICE, LE CHOEUR
Ah, ah, ah, quel plaisir!

RAIMBAUD
Quand on rit de ma puissance ...

ALICE, LE CHOEUR
Sire Robert, calmez-vous.

RAIMBAUD
… c'est le ciel que l'on offence.

ALICE, LE CHOEUR
Nous allons obéir tous,
Mais apaisez votre courroux.

RAIMBAUD
Placez là sous cet ombrage
Et des fruits et du laitage.

ALICE, LE CHOEUR
Allons, vite à l'ouvrage,
Préparons sous ce feuillage
Nos fruits les plus délicats.

RAIMBAUD
Allons, vite!

ALICE, LE CHOEUR
Patience!

RAIMBAUD
Mais plus vite!

ALICE, LE CHOEUR
Patience,
Sire Robert, patience,
Surtout ne vous fâchez pas.

RAIMBAUD
d'un air d'impatience
Placez aussi sur la table
Quelques flacons de vin vieux;
Car c'est un présent des cieux!

ALICE, LE CHOEUR
Plaçons aussi sur la table
Quelques flacons de vin vieux;
Car c'est un présent des cieux!


SCÈNE DEUXIÈME

RAGONDE
sortant du château, à gauche
Quand Madame la Comtesse
Est, hélas! dans la tristesse,
Pourquoi donc ces chants d'allégresse
De la part de ses vassaux?
Quand on aime sa maîtresse,
On s'afflige de ses maux.

Elle veut au bon ermite
Dans ce jour rendre visite,
Pour que du mal qui l'agite
Il cherche à la délivrer.

ALICE, LE CHOEUR
Quel bonheur, quelle allégresse!
Le ciel vient de l'inspirer.

RAIMBAUD
Elle est sauvée. Oui, la Comtesse
Ne pouvait mieux rencontrer.

RAGONDE
Vues croyez que sa science
Peut nous rendre l'espérance?

RAIMBAUD
Rien n'égale sa science:
Mainte veuve, grâce à lui,
A retrouvé son mari.

RAGONDE
Ah! Je veux aussi l'entendre.
Près de lui je veux me rendre,
S'il est vrai qu'un coeur trop tendre
Par lui puisse être guéri.
Ce saint homme que j'implore
A nos voeux rendre l'espoir!

ALICE, RAIMBAUD
Il pourrait bien plus encore;
Dans ces lieux chacun l'honore,
Rien n'égale son pouvoir!

LE CHOEUR
En ces lieux chacun l'honore,
Rien n'égale son pouvoir!


SCÈNE TROISIÈME

LE COMTE ORY
déguisé en ermite avec une longue barbe
Que les destins prospères
Accueillent vos prières!
La paix du ciel, mes frères,
Soit toujours avec vous!

Veuves ou demoiselles,
Dans vos peines cruelles,
Venez à moi, mes belles,
Obliger est si doux!

J'accorde les familles,
Et même aux jeunes filles
Je donne des époux.

Oui, venez tous, venez.

Que les destins prospères etc.

RAGONDE
Je viens à vous!

LE COMTE ORY
la regardant
Parlez, dame... trop respectable.
Vous aussi, mes enfants. A vos voeux, favorable,
Je puis tout accorder. Parlez:
Tous vos souhaits seront comblés.

LE CHOEUR
se pressant autour du Comte
Ah! quel saint personnage!
C'est le bienfaiteur du village.

RAGONDE
De grâce, parlons tous
L'un après l'autre.

LE COMTE ORY
Quel désir est le vôtre?
Que me demandez-vous?

ALICE, RAGONDE, RAIMBAUD, LE CHOEUR
Parlons l'un après l'autre.
Silence! taisez-vous.

UN PAYSAN
Moi, je réclame
Pour que ma femme
Dans mon ménage
Soit toujours sage.

LE COMTE ORY
C'est bien, c'est bien.

ALICE
Moi, je vous prie,
J'ai tant d'envie
Qu'on me marie
Au beau Julien!

LE COMTE ORY
C'est bien, c'est bien.

RAGONDE
Moi, je demande
Faveur bien grande:
Qu'aujourd'hui même
L'époux que j'aime
Ici revienne
Finir ma peine;
Que je l'obtienne,
C'est mon seul bien.

LE COMTE ORY
Bien. Bon.
(Qu'un bon ermite
Qu'on sollicite,
Qu'un bon ermite
A de mérite!
se retournant vers les jeunes filles
Jeune fillette,
Et bachelette,
Dans ma retraite,
Viendra ce soir.)

RAIMBAUD
Il fautt nous rendre
A l'ermitage.
Rendons hommage
A son pouvoir.

LE COMTE ORY
(Bonheur suprême!
En ma retraite
Jeune fillette
Viendra ce soir.)

ALICE, RAGONDE, LE CHOEUR
entourant le Comte
Oui, bon ermite,
Je sollicite
Faveur bien grande,
Et je demande
De la tendresse,
De la jeunesse,
De la richesse:
Exaucez-nous.

Tout le village
Vous rend hommage...
A l'ermitage
Nous irons tons.

ALICE, RAGONDE, RAIMBAUD, LE CHOEUR
Tout le village, etc.
Allons tous!

LE COMTE ORY
Tout le village
Me rond hommage...
A l'ermitage
Accourez tous.
Venez tous!
L'un après l'autre,
Mes chers enfants!

UN PAYSAN
Moi, je réclame etc.

RAGONDE
De grâce, encore un mot. Il s'agit de Madame.
Tandis que nos preux chevaliers
Que l'amour de la gloire enflamme,
Dans les champs musulmans moissonnent des lauriers,
Leurs femmes et leurs soeurs, bien qu'à la fleur de l'âge,
Ont juré comme moi de passer leur veuvage
Dans le châteaux de Formoutiers.

LE COMTE ORY
(Où tant d'attraits sont prisonniers.)
C'est le château de la belle Comtesse…

RAGONDE
… Dont le frère aux combats a suivi nos guerriers.
Et cette noble châtelaine,
Sur un mal inconnu qui cause notre peine,
Veut aujourd'hui vous consulter.

LE COMTE ORY
(Ah! quel bonheur!) Près de moi qu'elle vienne,
Mon devoir est de l'assister.
J'espère dans mon zèle lui rendre le repos;
Retournez auprès d'elle, allez à vos travaux.
Je vais en attendant dans mon humble chaumière
De ces jeunes beautés accueillir la prière.

ALICE, RAGONDE, RAIMBAUD, LE CHOEUR
Saint personnage,
Tout le village
Vient rendre hommage
A vos vertus.

LE COMTE ORY
Tout le village
Me rend hommage…
A l'ermitage
Accourez tous.

Le Comte remonte à son ermitage, suivi de toutes les jeunes filles.
Ragonde rentre au château. Les paysans s'en vont.
Arrivent le Gouverneur et Isolier.



SCÈNE QUATRIÈME

LE GOUVERNEUR
Je ne puis plus longtemps voyager de la sorte.

ISOLIER
Eh bien! reposons-nous sous ces ombrages frais.

LE GOUVERNEUR
Pourquoi m'avoir forcé de quitter notre escorte
Et m'amener ici?

ISOLIER
(J'avais bien mes projets...
Voilà donc le château de ma belle cousine!
Si je pouvais l'entrevoir... quel bonheur!
Mais, loin de partager l'ardeur qui me domine,
Elle ferme à l'amour son castel et son coeur.)
au Gouverneur, qui s'est assis
Eh bien! monsieur le Gouverneur,
Reprenez-vous un peu courage?

LE GOUVERNEUR
Maudit emploi! maudit message!
Monseigneur notre prince, auquel je suis soumis,
M'ordonne de chercher le comte Ory, son fils,
Ce démon incarné, mon élève et mon maître,
Qui, sans mon ordre, hélas! loin de la cour
S'est avisé de disparaître.

ISOLIER
(Pour jouer quelque nouveau tour.)

LE GOUVERNEUR
On le disait caché dans ce séjour.
Comment l'y découvrir?... comment l'y reconnaître?

ISOLIER
Vous devez tout savoir... d'être son gouverneur
N'avez-vous pas l'honneur?

LE GOUVERNEUR
Ah! quel honneur!

N° 2 - Air

LE GOUVERNEUR
Veiller sans cesse,
Craindre toujours
Pour Son Altesse
Ou peur mes jours.

Du gouverneur
D'un grand seigneur,
Voilà les profits et l'honneur.
Quel honneur d'être gouverneur!

A la guerre, comme à la chasse,
Si quelque péril le menace,
Il faut partout suivre ses pas,
Dût-il vous mener au trépas!

Veiller sans cesse,
Trembler toujours
Pour Son Altesse
Ou pour mes jours...

Du gouverneur etc.

Et s'il est épris d'une belle,
Il me faut courir après elle;
Tout en lui faisant des sermons
Sur le danger des passions.

Veiller sans cesse,
Courir toujours,
Pour Son Altesse
Ou ses amours.

Du gouverneur etc.


SCÈNE CINQUIÈME

CHŒUR DE PAYSANNES
Vous, notre appui,
Et notre ami,
Bien grand merci!
J'irai toujours vous voir,
Ô bon ermite.

Ô saint prophète,
Soyez béni!
Puissant prophète,
Soyez béni!

Jeune fillette
Ah, grâce à lui,
Fortune faite,
Et bon mari.

LE GOUVERNEUR
regardant les jeunes filles
(Je vois paraître
Minois joli;
Ah! mou cher maître
Doit être près d'ici.)

Jeunes fillettes, de grâce dites-moi
Depuis quel tempe dans ce village
Ce bon ermite est-il venu?

LE CHŒUR
Voilà huit jours...

LE GOUVERNEUR
Qu'ai-je entendu?
Voilà huit jours...

LE CHŒUR
Pas davantage!

LE GOUVERNEUR
… que cotre maître a disparu!
C'est bien huit jours?

LE CHŒUR
Oui, c'est huit jours, pas davantage.

LE GOUVERNEUR
Voilà huit jours que autre maître a disparu!

Cette aventure fort singulière
Cache à mes yeux quelque mystère:
Ce bon ermite que l'on révère
Au fondd de l'âme est-il sincere?

Lui qu'on adore,
Lui qu'on implore,
Serait-ce encore le comte Ory?

Ruse anodine,
Je te devine,
Oui j'en suis sûr, c'est encore lui.

LE CHOEUR
Mais qu'a-t-il donc, ce voyageur,
II n'a pas l'air de bonne humeur.
Il faut nous éloigner, aussi
Sortons d'ici, partons d'ici.

LE GOUVERNEUR
Lai qu'on adore, etc.
C'est encore lui.

Cette aventure etc.

LE GOUVERNEUR
retenant Alice, qui reste la dernière
Cet ermite, ma belle enfant,
Où pourrais-je le voir?

ALICE
Ici même... à l'instant
Il va venir... Madame la Comtesse
A désiré le consulter.

ISOLIER
Vraiment!

ALICE
Sur un mal inconnu qui l'accable et l'oppresse.

LE GOUVERNEUR
Merci, ma belle enfant.
Il doit donc venir dans l'instant!

ISOLIER
(Elle va venir dans l'instant!)

LE GOUVERNEUR
(Cette belle Comtesse au minois séduisant!
Ceci me semble encore une preuve plus forte.)
à Isolier
Attendez-moi… je vais retrouver notre escorte.
(Puis ensemble vous reviendrons,
Pour confirmer, ou bien dissiper mes soupçons.)


SCÈNE SIXIÈME

ISOLIER
Je vais revoir la beauté qui m'est chère...
Mais comment désarmer cette vertu si fière?
Comment, en ma faveur, la toucher aujourd'hui?
Si cet ermite, ce bon père,
Voulait m'aider... oh! non ... ce serait trop hardi...
Allons! ... ne suis-je pas page du comte Ory?


SCÈNE SEPTIÈME

ISOLIER
Salut, ô vénérable ermite!

LE COMTE ORY
avec un geste de surprise
(C'est mon page! sachons le dessein qu'il médite.)
Qui vers moi vous amène, ô charmant Isolier?

ISOLIER
II me connaît!

LE COMTE ORY
Tel est l'effet de ma science.

ISOLIER
Un aussi grand savoir ne peut trop se payer,
lui donnant une bourse
Et cette offrande est bien faible, je pense.

LE COMTE ORY
prenant la bourse
N'importe... à moi vous pouvez vous fier:
Parlez, parlez, beau page.


N° 3 - Duo

ISOLIER
Une dame de haut parage
Tient mon coeur en un doux servage,
Et je brûle pour ses attraits.

LE COMTE ORY
Je n'y vois point de mal... après?

ISOLIER
Je croyais avoir su lui plaire;
Et pourtant son cœur trop sévère
Se dérobe à mes projets.

LE COMTE ORY
Je n'y vois point de mal.., après?

ISOLIER
Et jusqu'au retour de son frère,
Qui des croisés suit la bannière,
Aucun amant, aucun mortel
Ne peut entrer dans ce castel.

LE COMTE ORY
(Celui de la Comtesse... ô ciel!)

ISOLIER
Pour y pénétrer, comment faire?
J'avais bien un moyen fort beau;
Mais je le crois trop téméraire.

LE COMTE ORY
Parlez... parlez.., beau jouvenceau.

ISOLIER
Je voulais, d'une pèlerine
Prenant la cape et le manteau,
M'introduire dans ce château.

LE COMTE ORY
Bien! bien.., le moyen est nouveau.
(On peut s'en servir, j'imagine.)

Noble page do comte Ory,
Serez un jour digne de lui!
(Voyez donc, voyez donc le traître!
Oser jouter contre son maitre.)

ISOLIER
A l'instant je me sens renaître:
Quel bon moyen, quel coup de maître...

LE COMTE ORY
(Mais je le tiens, et l'on verra
Qui de nous deux l'emportera.)

ISOLIER
Qui, je le tiens, et vois déjà
Que son pouvoir me servira.

Mais d'abord ce projet réclame
Vos soins pour être exécuté.

LE COMTE ORY
Comment?

ISOLIER
Par cette noble dame
Vous allez être consulté.

LE COMTE ORY
(C'est qu'il sait tout, en vérité.)

ISOLIER
Dites-lui que l'indifférence
Cause, hélas! son tourment fatal.

LE COMTE ORY
J'entends! j'entends... ce c'est pas mal.

ISOLIER
Et pour guérir à l'instant même,
Dites-lui... qu'il faut qu'elle m'aime.

LE COMTE ORY
J'entends! j'entends... ce c'est pas mal.
Je lui dirai qu'il faut qu'elle aime...
(Mais un autre que mon rival…)

ISOLIER
Dites-lui bien qu'il faut qu'elle aime.

LE COMTE ORY
Noble page du comte Ory, etc.


SCÈNE HUITIÈME

Marche

LA COMTESSE
apercevant Isolier
Isolier dans ces lieux!

ISOLIER
Sur le mal qui m'agite
Je venais consulter aussi le bon
ermite.

LE COMTE ORY
Je dois à tous les malheureux
Mes consolations, mes conseils et mes voeux.


N° 4 - Air

LA COMTESSE
s'approchant du comte Ory
En proie à la tristesse,
Ne plus goûter d'ivresse
Au sein de sa jeunesse,
Souffrir, gémir sans cesse,
Voilà quel est mon sort.
Se flétrir en silence,
N'espérer que la mort.
Hélas, quelle souffrance.

Ô peine horrible!
Vous que l'on dit sensible,
Daignez, s'il est possible,
Guérir le mal terrible
Dont je me sens mourir!
Soulagez ma douleur,
Rendez-moi le bonheur.

LE CHOEUR
Calmez tant de souffrance,
Calmez tant de douleur!
Et que votre science
Lui rende le bonheur.

LA COMTESSE
Faut-il mourir de ma souffrance?
Hélas, hélas, plus d'espérance!
Ciel!
Ô peine horrible! etc.
Soulagez ma douleur,
Rendez-moi le bonheur.

LE CHOEUR
Ah, calmez tant de douleur!

ISOLIER
au Comte
Vous avez entendu sa touchante prière!
Voici le vrai moment, soyez à moi, mon père!

LE COMTE ORY
à la Comtesse
Si dans mon assistance
Vous avez confiance,
Je puis en conscience
Guérir votre douleur

Du mal qui vous dévore
La source est dans le coeur.
Aimez, aimez encore
Pour renaître au bonheur.

LA COMTESSE
D'un éternel veuvage
Un serment fut le gaga.
Et j'irais le trahir?
Plutôt, plutôt mourir.

LE COMTE ORY
Le ciel vous en dégage.
Il ordonne que de vos jours
La flamme se ranime
Au flambeau des amours.

LA COMTESSE
Céleste providence,
Je te bénis de ta clémence!

Ô bon ermite,
Votre mérite
En mes beaux jours
Vivra/Viendra toujours.

LE COMTE, puis ISOLIER
Toujours, toujours.

LA COMTESSE
à Isolier
Isolier, que ta présence
Me fait naître un doux émoi.
Cher lsolier, je veux t'aimer,
Je ne veux aimer que toi.

LE CHOEUR
On voit que sa parole
Paraît la ranimer.
Le mai qui la désole
Commence à se calmer.

LA COMTESSE
Déjà je sens
Les feux brûlants
De la jeunesse
Par la tendresse
Se rallumer.

Ô bon ermite, etc.

ISOLIER
au Comte
C'est bien... je suis content.

LE COMTE ORY
à la Comtesse
Encore un mot, de grâce.
D'un grand péril qui vous menace
Je dois vous prévenir! … il faut vous défier...

LA COMTESSE
De qui?

LE COMTE ORY
De ce jeune Isolier.

LA COMTESSE
Ô ciel!

LE COMTE ORY
C'est le fidèle page
De ce terrible comte Ory,
Dont les galants exploits...
Mais ici... devant lui,
Je n'oserais en dire davantage.
Entrons dans ce castel.

LA COMTESSE
Mon coeur en a frémi!
au Comte
Ô mon sauveur!. .. ô mon unique appui!
Venez, venez!

Elle prend le Comte par la main et va l'entraîner dans le château. Toutes
les dames les suivent Le comte Ory a déjà le pied sur le pont-levis et, en
raillant Isolierr, fait un geste de joie.
A ce moment entre te Gouverneur, suivi de tous les chevaliers de son
escorte.



SCÈNE NEUVIÈME

LE GOUVERNEUR, LES CHEVALIERS
Nous saurons bien le reconnaître.
Avançons...

LE GOUVERNEUR
apercevant Raimbaud, qui est en paysan
Qu'ai-je vu!... c'est Raimbaud,
Le confident, l'ami de notre maître!

RAIMBAUD
Taisez-vous donc, ne dites mot.

LE GOUVERNEUR
Plus de doute, plus de mystère,
montrant l'ermite
C'est Monseigneur! c'est lui!

LE COMTE CRY
(Misérable! crains ma colére.)

TOUS LES CHEVALIERS
s'inclinant
C'est le comte Ory!

LES DAMES
s'éloignant avec effroi et se réfugiant dans un coin
Le comte Ory!

LE COMTE ORY
Eh bien! oui … le voici.


N° 5 - Finale

TOUS
Ciel!

LA COMTESSE, ALICE, RAGONDE, puis ISOLIER
Ô terreur, ô peine extrême,
Quel indigne stratagème!
Mon coeur bat d'effroi, d'horreur.
Quel effroi saisit mon coeur!
Quel effroi s'empare de mon coeur!
Oui, l'effroi vient agiter mon coeur.

LE GOUVERNEUR
Ô bonheur (ô plaisir), ô joie extrême,
On connait son stratagème,
Tout s'oppose à son bonheur.
Ciel! L'espoir fuit de son cœur
(Pour moi, quel bonheur!)
La rage est dans son coeur

LE COMTE ORY
Plus d'espoir, ô peine extrême,
Tout s'oppose à mon bonheur.
Ah, l'espoir me fuit encore.
Quel effroi, hélas!
L'espoir fuit de mon coeur
La rage est dans mon coeur,
La fureur vient agiter mon coeur.

RAIMBAUD
Plus d'espoir, ô peine extrême,
Tout s'oppose à son bonheur.
Le dépit augmente encore.
Ô douleur, ciel!
Quel malheur, quel effroi!
L'espoir fuit de son cœur

RAGONDE
Cet écrit, noble châtelaine,
Vous vient de lointains pays.
Il apporte, j'en suis certaine,
Des nouvelles de nos maris.

LE COMTE ORY
(Encore une disgrâce.)

TOUS sauf LA COMTESSE
Lisez, cédez, de grâce.

LE GOUVERNEUR
Seigneur, adieu plaisir!

ALICE, RAGONDE, ISOLIER, LE CHOEUR
Cédez à mon désir.

LE COMTE ORY, RAIMBAUD, LE GOUVERNEUR, LE CHOEUR
Il faut se contenir.

LA COMTESSE
lisant
«Madame et soeur chérie,
La croisade est finie,
Et dans outre patrie
Nous revenons enfin.»

TOUS sauf LA COMTESSE
(avec joie)
Ls croisade eut finie
Et tous dans leur patrie
Ils reviennent enfin.»

RAIMBAUD, LE GOUVERNEUR
Fatal destin!

LA COMTESSE
lisant
«On nous a vus sans crainte
Purger la Terre sainte
Et notre épée est teinte
Du sang du Sarrasin.»

TOUS saut LA COMTESSE
On les a vus sans crainte
Purger la Terre sainte
Et leur épée est teinte
Du sang du Sarrasin.

RAIMBAUD, LE GOUVERNEUR
Fatal destin!

LA COMTESSE
lisant
«Nous partons pour la France
Et nous suivrons, je pense,
A deux jours de distance
Ce message certain.»

ALICE, RAGONDE, ISOLIER, LE CHOEUR
Telle est notre espérance.
Ils suivent vers la France
A deux jours de distance
Ce message certain.

LE COMTE ORY, RAIMBAUD, LE CHOEUR
Hélas, plus d'espérance.
Ils suivent vers la France etc.

LE GOUVERNEUR
Pour lui, plus d'espérance.
Ils suivent vers la France etc.

RAGONDE
Vous viendrez, ô seigneur Comte,
Partager nos transports.

LE COMTE ORY
Je partage vos transports.

LA COMTESSE
Partagez nos transports.

LE COMTE ORY
(Sachons venger ma honte
Par de nouveaux succès.)
à Raimbaud
Un jour me reste encore,
Qu'il serve à mes projets.

RAIMBAUD, LE GOUVERNEUR
Allons, partons.
Surveillons ses projets.

LA COMTESSE
Quand mon coeur tremble encore
De ses affreux projets,
Celui que seul j'adore
Va me rendre la paix.

ALICE, ISOLIER
Quand mon coeur tremble encore
De ses affreux projets,
Le frère qu'elle adore
Va lui rendre la paix.

RAGONDE
Quand mon coeur tremble encore
De ses affreux projets,
L'époux que seul j'adore
Va me rendre la paix.

LE COMTE ORY, SES COMPAGNONS
(Un jour me/nous reste encore,
Qu'il serve à nos projets.)

LE CHOEUR
Hélas! je tremble encore
De ses affreux projets.

LE COMTE ORY
Venez, amis, retirons-nous
Et dans notre retraite
Assurons ma conquête
Et du destin bravons les coups.

La nuit,
sans bruit,
Sachons en dépit des jaloux
Du sort braver les coups.

ISOLIER
A tout ce qu'il projette
Avec adresse opposons-nous.
Sachons parer ses coups.

LA COMTESSE
Déjà le sort dans sa rigueur
N'a plus rien qui m'alarme.
Un espoir plein de charme
Déjà fait battre mon coeur.
Déjà l'espoir fait palpiter mon coeur
De joie et de bonheur.

RAGONDE
Celui qui sut toucher mon coeur
Va me rendre au bonheur.
Je sens (déjà) battre mon coeur,
D'amour et de bonheur.

RAIMBAUD
Allons, sortons,
Allons avec prudence.
Méditer en silence
Et de notre vengeance
Le succès est certain.
Bravons le seigneur châtelain.

LE GOUVERNEUR
Repartons en silence.
Il faut avec prudence
Eviter la vengeance
Du seigneur châtelain.
Je crains le seigneur châtelain.

LE COMTE ORY
Allons, sortons!

LES DAMES, ISOLIER
Allons, rentrons.

LES DAMES, ISOLIER, LE CHOEUR
Aux chants de la victoire
Allons mêler nos voix.
Des preux chantons la gloire
Et les brillants exploits.
Chantons tous leurs exploits!

RAIMBAUD, LE GOUVERNEUR
Sachons par la victoire
Assurer tous nos droits.
On trouve aussi la gloire
Dans nos galants exploits.
Partons, on parlera de nos exploits.

LE COMTE ORY, SES COMPAGNONS
Sachons par la victoire
Les soumettre à nos lois.
On trouve aussi la gloire
Dans nos galants exploits.
Partons, on parlera de nos exploits.

LE COMTE ORY
Venez amis, retirons-nous etc.


ACTE DEUXIÈME

SCÈNE PREMIÈRE

N° 6 - Introduction

La chambre à coucher de la Comtesse. A gauche, un lit de repos et une table sur laquelle brûle une lampe. A droite, une croisée sur le premier plan.
La Comtesse est entourée de Dame Ragonde et des dames de sa suite,
occupées à des ouvrages de femmes.


LA COMTESSE, RAGONDE
Dans ce séjour calme et tranquille
S'écoulent nos jours innocents;
El nous bravons dans cet asile
Les entreprises des méchants.

LES DAMES
Et nous bravons dans cet asile
Les entreprises des méchants,

LA COMTESSE
assise et brodant une écharpe
Je tremble encore quand j'y pense;
Quel homme que ce comte Oryl
De la vertu, de l'innocence
C'est le plus terrible ennemi.

RAGONDE
C'est le nôtre... Dieul quelle audace!
D'un saint homme prendre la place!
Et me parler de mon mari!

LA COMTESSE
Par bonheur nous pouvons sans crainte
Le défier dans cettte enceinte
Oui nous protège contre lui.

LA COMTESSE, RAGONDE
Dans ce séjour etc.

LES DAMES
Et nous bravons dans cet asile
Les entreprises des méchants.
L'orage qui avait commencé à gronder se fait entendre avec plus de
force.

Ecoutez!... le ciel gronde.

LA COMTESSE
Oui, la grêle et la pluie
Ebranlent les vitraux de ce noble castel.
D'effroi je suis saisie.

RAGONDE, puis LES DAMES
Apaise ton courroux,
Grand Dieu, protège-nous.

RAGONDE
Nous sommes à l'abri!...
Que je rends grâce au ciel!

LA COMTESSE
Et moi, lorsque l'orage éclate avec furie,
Au fond du coeur combien je plains
Le sort des pauvres pèlerines!

On entend alors des voix provenant du dehors.

VOIX
Noble châtelaine,
Voyez notre peine;
Et dans ce domaine,
Dame de bonté,

Pour fuir la disgrâce
Dont on nous menace,
Donnez-nous, par grâce,
L'hospitalité.

LA COMTESSE
Voyez gai ce peut être,
et qui frappe à cette heure.
Jamais le malheureux
qui vient nous supplier
N'a de cette antique demeure
Imploré vainement le toit hospitalier.

L'orage redouble.

LA COMTESSE, RAGONDE, LES DAMES
Grand Dieu! dans ta bonté suprême,
Apaise cet orage affreux!
En ce moment celui/l'époux que j'aime
Est peut-être aussi malheureux.

VOIX
Noble chatelaine, etc.

Dame Ragonde sort.


SCÈNE DEUXIÈME

RAGONDE
qui revient avec un air agité
Quand tomberont sur lui les vengeances divines?
Quelle horreur!

LA COMTESSE
Qu'avez-vous?

RAGONDE
Dieu! quel crime inouï!

LA COMTESSE
Mais qu'est-ce donc?

RAGONDE
Encore on trait du comte Ory.
De malheureuses pèlerines
Qui, fuyant sa poursuite, et cherchant un abri,
Pour la nuit seulement demandent un asile.

LA COMTESSE
Que nos secours leur soient offerte!

RAGONDE
J'ai prévenu vos vœux! Ce soin m'était facile.
On aime à compatir one maux qu'on a soufferts...

LA COMTESSE
Ces dames sont-elles nombreuses?

RAGONDE
Quatorze.

LA COMTESSE
C'est beaucoup!

RAGONDE
Mais quel air! quel maintien!

LA COMTESSE
Leur âge?

RAGONDE
Quarante ans.

LA COMTESSE
Leurs figures?

RAGONDE
Affreuses!
Ce comte Ory n'a peur de rien.
Je les ai fait entrer au parloir en silence.
Elles tremblaient encore de froid et de frayeur.
L'une d'elles pourtant, dans sa reconnaissance,
De nous voir un instant demande la faveur.
Mais c'est elle, je pense: Elle approche.

LA COMTESSE
C'est bien.
Laissez-nous un instant.

RAGONDE
au comte Ory, qui paraît en pèlerine et les yeux baissés
Entrez, ne craignez rien.

Toutes les dames sortent

LA COMTESSE
Ragonde avait raison, quel modeste maintien!
Approchez, approchez, Madame.


SCÈNE TROISIÈME

N° 7 - Duo

LE COMTE ORY
Ah! quel respect, Madame,
Pour vos vertus m'enflamme:
Souffrez que de mon âme
J'exprime ici l'ardeur!

LA COMTESSE
L'ardeur?

LE COMTE ORY
Votre prudence,
Votre obligeance
Nous a sauvé l'honneur.

LA COMTESSE
Je suis heureuse et fière
D'avoir d'un téméraire
Soustrait à la colère
Une vertu si chère.

LE COMTE ORY
Vertu!

LA COMTESSE
Oui, je suis fière
Qu'à sa colère
Echappent tant d'attraits.

LE COMTE ORY
En mon cour rien n'efface
Tant de charme et de grâce.
prenant sa main
Celle main que j'embrasse
Vous l'atteste à jamais.

LA COMTESSE
Que faites-vous? Ah, de grâce!

LE COMTE ORY
De ma reconnaissance,
Quoi! l'excès vous offense!
Et sans votre assistance,
Hélas! lorsque j'y pense...
Quel était entre sort!...
D'effroi j'en tremble encor!...

LA COMTESSE
avec bonté, et lui tendant la main
Calmez, calmez votre âme.

LE COMTE ORY
pressant sa main sur ses lèvres
Ah! Madame!

LA COMTESSE
souriant
Quel excès de frayeur!
(Ah, quel excès d'ivresse,
D'où vient celle tendresse?
Pourquoi celle tendresse?
Lu crainte encor l'oppresse.)
Quoique si près de lui,
Ah! vous pouvez sans crainte ici
Braver le comte Ory.

LE COMTE ORY
(Il faut avec adresse
Modérer ma tendresse;
De quelle douce ivresse
Malgré moi j'ai frémi!)
Quoi, vous osez sans crainte ici
Braver le comte Ory?
On le dit téméraire.

LA COMTESSE
Je brave sa colère.

LE COMTE ORY
On prétend qu'il vous aime.

LA COMTESSE
Ah!... Quelle audace extrême!

LE COMTE ORY
Pour obtenir au grâce
S'il tombait à vos genoux,
Madame, que feriez-vous?

LA COMTESSE
D'une pareille audace
La honte et le mépris
Seraient le prix.

Ce téméraire
Qui croit nous plaire,
En vain espère
Être vainqueur.

Moi je préfère
L'amant sincère
Qui sait nous faire
Sa tendre ardeur...

Mais on doit rire
Du faux délire
Et du martyre
D'un séducteur.

Ce téméraire
Qui croit nous plaire,
En vain espère
Être vainqueur,
Séduire mon coeur.

LE COMTE ORY
(Beauté si fière,
Prude, sévère,
Bientôt j'espère
Toucher ton coeur.

Je ris d'avance
De sa défense,
La résistance
Est de rigueur...

Puis l'heure arrive
Où la captive,
Faible et plaintive,
Cède au vainqueur.

Beauté si fière,
Prude, sévère,
Bientôt j'espère
Être vainqueur,
Toucher ton coeur.)

LA COMTESSE
En confiance
On peut d'avance
Braver, je pense,
Son insolence.

LE COMTE ORY
Il faut, d'avance,
Être en défense;
La confiance
N'est pas prudence.

LA COMTESSE
Ce téméraire, etc.

Toucher mon coeur.

LE COMTE ORY
Pour se venger,
Ce séducteur
Saura bientôt
Toucher ton cœur.

(En vain tu ris
De mon ardeur,
J'espère encore
Être vainqueur
Oui, l'amour
Me promet le bonheur.)

LA COMTESSE
Voici vos compagnes fidèles.

LE COMTE ORY
se reprenant
Je les entends... ce sont eux... ce sont elles!
regardant vers le fond
(Mes chevaliers! sous ces humbles habits!)

LA COMTESSE
J'ordonne qu'en vous serve
et du lait et des fruits.

LE COMTE ORY
Quelle bonté céleste!
Il baise avec respect la main de la Comtesse, qui sort en le regardant avec intérêt.
L'ordinaire est frugal et le repas modeste
Pour d'aussi nobles appétits.


SCÈNE QUATRIÈME

N° 8 - Choeur

Entrent le Gouverneur et onze chevaliers, vêtus d'une pèlerine qui est entrouverte et laisse apercevoir leurs habits de chevaliers.

LE COMTE ORY, SES COMPAGNONS
Ah! la bonne folie!
C'est charmant, c'est divin!
Le plaisir nous convie
A ce joyeux festin.

LE COMTE ORY
L'aventure est jolie,
N'est-ce pas vrai?…Monsieur mon gouverneur?

LE GOUVERNEUR
Je pense comme Monseigneur.
Mais si le Duc...

LE COMTE ORY
Mon père...

LE GOUVERNEUR
Apprend cette folie,
Ma place me sera ravie!
Il faut donc prendre garde.

LE COMTE ORY
Eh! mais, c'est ton emploi;
Tu veilleras pour nous,
et nous rirons pour toi.
Rien ne nous manquera, je pense;
Car sagement j'ai su choisir
Mes compagnons, pour le plaisir,
Mon gouverneur, pour la prudence.

LE GOUVERNEUR
Qui peut vous inspirer pareille extravagance?

LE COMTE ORY
C'est mon page Isolier... mon rival...

LE GOUVERNEUR
L'imprudent!

LE COMTE ORY
… Qui, ne connaissant point l'objet de ma tendresse,
M'a conseillé tantôt un tel déguisement
Pour mieux enlever sa maîtresse.

LE GOUVERNEUR
Et le ciel le punit.

LE COMTE ORY
En me récompensant.

LE COMTE ORY, SES COMPAGNONS
Oh! la bonne folie! etc.

Ils se mettent à table.

LE GOUVERNEUR
Eh! mais quelle triste observance!
Rien que du laitage et des fruits.

LE COMTE ORY
C'est le repas de l'innocence,
Mesdames.

LE GOUVERNEUR, puis LE CHOEUR
Point de vin!...


SCÈNE CINQUIÈME

(Arrive Raimbaud, tenant un panier sous son manteau de pèlerine.)

RAIMBAUD
En voici, mes amie.

LE CHOEUR
se levant
C'est Raimbaud!

RAIMBAUD
En héros j'ai tenté l'aventure,
Et je viens avec vous partager ma capture.
Approchez. Ecoutez
Le récit des exploits que peur vous j'ai tentés.

N° 9 - Air

RAIMBAUD
Dans ce lieu solitaire,
Propice au doux mystère,
Moi, qui n'ai rien à faire,
Je m'étais endormi.

Dans mon âme indécise,
Certain goût d'entreprise
Que l'exemple autorise
Vient m'éveiller aussi.

LE CHOEUR
Quoi! Raimbaud s'en mêle aussi!

RAIMBAUD
C'est le seul moyen d'être
Digne d'un pareil maître,
Et je veux reconnaître
Ce manoir en détail!

Je pars.., je m'oriente;
A mes yeux se présente
Une chambre élégante,
C'est celle du travail.

LE CHOEUR
Et quel est ce travail?

RAIMBAUD
Une harpe jolie...
De la tapisserie;
Près de la broderie
J'aperçois un roman!

Même en une chambrette,
J'ai, dans une cachette,
Cru voir l'historiette
Du beau Tyran-le-Blanc!

LE CHOEUR
Quoi, vraiment, un roman!

RAIMBAUD
Je sors de l'oratoire
Et j'entre au réfectoire
Où rien ne me fait croire
A l'espoir d'un festin.

Marchant à l'aventure
Sous une voûte obscure,
J'entrevois l'ouverture
D'un affreux souterrain.

LE CHOEUR
Un affreux souterrain!

RAIMBAUD
Une beauté naïve
Peut y gémir, captive.
Je m'élance et j'arrive
Dans un vaste cellier

Dont l'étendue immense
Et la bonne apparence
Attestent la prudence
Du sire de Formoutiers.

LE CHOEUR
Pouvait-on mieux tomber?

RAIMBAUD
Arsenal redoutable,
Qui fait qu'on puise à table
Un courage indomptable
Contre le Sarrasin.

Armée immense et belle,
D'une espèce nouvelle,
Plus à craindre que celle
Du sultan Saladin...

LE CHOEUR
C'est charmant, c'est divin!

RAIMBAUD
Près des vins de Touraine,
Je vois ceux d'Aquitaine:
Et ma vue incertaine
S'égare on les comptant.

Là, je vois l'Allemagne;
Ici, brille l'Espagne;
Là, frémit le Champagne
Du joug impatient.

LE CHOEUR
C'est divin, c'est charmant!

RAIMBAUD
J'hésite... ô trouble extrême!
Ô doux péril que j'aime!
Et seul, avec moi-même,
Contre tant d'ennemis,

Au hasard, je m'élance.
Sans compter, je commence,
J'attaque avec vaillance
A la fois vingt pays.

Quelle conquête
Pour moi s'apprête!...
Mais je m'arrête,
J'entends du bruit.

Quelqu'un s'avance,
Vers moi s'élance!
De notre course
Les murs frémissent,
Ils retentissent,
On me poursuit.

On crie: arrête!
Arrête.., arrête!
L'écho répète
Ces cris d'alarme,
Je fuis soudain.

Quel jour de fête
Ô mes amis!
De ma conquête
Voilà (tous) les fruits.

LE CHOEUR
De sa conquête
Prenons les fruits.

RAIMBAUD
On crie: arrête!
L'écho répète,
Et leurs pas et leurs cris...
Les murs frémissent
Et retentissent
Sous le bruit de leurs pas;
Quelqu'un s'avance,
Vers moi s'élance,
Mais je ne l'attends pas.

Quel jour de fête etc.

LE COMTE ORY
Du fruit de sa victoire
Il fait hommage à l'amitié.
Dans sa conquête et dans sa gloire
Soyons tous de moitié.

N° 10 - Choeur

LE COMTE ORY, SES COMPAGNONS
ôtant les bouteilles du panier
Buvons, buvons soudain!
Qu'il avait de bons vins
Le seigneur châtelain!

Pendent qu'il fait la guerre
Au Turc, au Sarrasin;
A sa santé si chère
Buvons ce jus divin.
Buvons jusqu'à demain.

Quelle douce ambroisie!
Célébrons tour à tour
Le vin et la folie,
Le plaisir et l'amour

Qu'il avait de bons vins etc.

LE COMTE ORY
On vient... c'est la tourière!..
Silence! taisez-vous!
Mettez-vous en prière,
Ou bien c'est fait de nous.


SCÈNE SIXIÈME

LE COMTE ORY, TROIS COMPAGNONS
fermant leur pèlerine et cachant leur bouteille
Toi que je révère,
Entends ma prière.
Ô Dieu tutélaire,
Viens dans ta bonté
Sauver l'innocence,
Et que ta puissance,
Un jour récompense
L'hospitalité!

Ragonde les regarde d'un air attendri, lève les yeux au ciel et s'éloigne.

RAIMBAUD
Elle a disparu,
Réparons bien le temps perdu.

LE COMTE ORY, SES COMPAGNONS
Buvons, buvons soudain! etc.

LE COMTE ORY
Elle revient... silence!


SCÈNE SEPTIÈME

La Comtesse arrive avec plusieurs femmes portant des flambeaux.

LA COMTESSE
(Quel doue recueillement! combien je les admire!)
au Comte et aux chevaliers
Du repos voice le moment.
Que chacune de vos, Mesdames, se retire
Dans son appartement.

LE COMTE ORY
Adieu, noble Comtesse.., ah! si le ciel m'entend,
Bientôt viendra l'instant, peut-être,
Où je pourrai vous faire connaître
Ce qu'éprouve pour vous mon coeur reconnaissant.

Le Comte et les chevaliers prennent les flambeaux des mains des dames, et se retirent.


SCÈNE HUITIÈME

LA COMTESSE
commençant à défaire son voile
Oui, c'est une bonne oeuvre
et qui, dans notre zèle,
Doit nous porter bonheur.
On sonne à la tourelle,
Qui vient encore?

RAGONDE
regardant par la fenêtre
Un page.

LA COMTESSE
Un page dans ces lieux,
Dont l'enceinte est pas nous aux hommes interdite!
Je veux savoir quel est l'audacieux...


SCÈNE NEUVIÈME

ISOLIER
C'est moi, belle cousine, et point je ne mérite
Le fier courroux qui brille en vos beaux yeux.

LA COMTESSE
Qui vous amène ici?

ISOLIER
Le Duc, mon maître.
Il m'a chargé de vous faire connaître
A ces dames, à vous, qu'aujourd'hui, cette nuit,
Leurs maris, notre frère, arrivent à minuit.

LA COMTESSE, RAGONDE, UNE DAME
Quoi! nos maris.., bonté divine!...

ISOLIER
Ils reviennent de Palestine
Et veulent en secret vous surprendre ce soir.

LA COMTESSE, RAGONDE, UNE DAME
Ah! cet heureux retour comble tout notre espoir!

ISOLIER
Le Duc le croit aussi; mais il pense en son âme
Qu'un mari bien prudent prévient toujours sa femme.
Un bonheur trop subit peut être dangereux.

RAGONDE
Quoi! nos maris enfin reviennent dans ces lieux!
Ah! le ciel les devait à nos vives tendresses.
Je cours en prévenir nos aimables hôtesses.

ISOLIER
l'arrêtant
Et qui donc?

RAGONDE
Quatorze vertus…
Que le comte Ory, votre maître,
Poursuivait.

ISOLIER
De terreur tous mes sens sont émus.
Achevez… ce sont peut-être
Des pèlerines?

RAGONDE
Oui, vraiment.

ISOLIER
C'est fait de nous... Sous ce déguisement
Vous avez accueilli le comte Ory lui-même,
Et tous ses chevaliers.

ISOLIER, RAGONDE, UNE DAME
Ô ciel!

LA COMTESSE
Terreur extrême!

RAGONDE
Que dire à mon mari, trouvant en ses foyers
Sa chaste épouse avec quatorze chevaliers?

LA COMTESSE, RAGONDE, UNE DAME
Hélas! à quel péril sommes-nous réservées?

ISOLIER
Une heure seulement, et vous êtes sauvées.
On va nous secourir... Il faut gagner du temps.

LA COMTESSE, RAGONDE, UNE DAME
Hélas! hélas! je tremble!

LA COMTESSE
Plus terrible à lui seul que les autres ensemble,
Ce comte Ory… le voici… je l'entends.

Toutes les dames s'enfuient en poussant un grand cri. lsolier va souffler la lampe qui est sur le guéridon, puis, s'enveloppant du voile que la Comtesse vient de quitter, il se place sur le canapé et fait signe à la Comtesse de s'approcher de lui.

ISOLIER
Ne craignez rien. Au péril de ma vie
Je vous défendrai contre tous.

LA COMTESSE
D'effroi je suis toute saisie.

ISOLIER
Dame tant chérie, âme de ma vie,
Ne craignez rien, je suis auprès de vous.


SCÈNE DIXIÈME

N°11 - Trio

LE COMTE ORY
A la faveur de cette nuit obscure,
Avançons-nous, et sans la réveiller,
Il taut céder au tourment que j'endure;
Amour me berce, et ne puis sommeiller.

D'amour et d'espérance
Je sens battre mon coeur;
La nuit et le silence
Assurent mon bonheur.

ISOLIER
De crainte et d'espérance
Je sens battre mon coeur.
La nuit et le silence
Redoublent son erreur.

LA COMTESSE
cachée par Isolier
De crainte et d'espérance
Je sens battre mon coeur;
La nuit et le silence
Redoublent ma frayeur.

ISOLIER
bas, à la Comtesse
Parlez-lui.

LA COMTESSE
Qui va là?

LE COMTE ORY
C'est moi: c'est sœur Colette.
Seule, et dans cette chambre ou je ne puis dormir,
Tout me trouble, tout m'inquiète.
J'ai peur... permettez-moi... près de vous... de venir.

ISOLIER, puis LA COMTESSE
(Ah! quelle perfidie!)

LE COMTE ORY
avançant près d'Isolier qu'il prend pour la comtesse Adèle
Ô moments pleins de charmes!
Quand on est deux, on a moins peur.

ISOLIER
(Oui, lorsqu'on est deux!)

LE COMTE ORY
prenant la main d'Isolier, qui prend celle de la comtesse Adèle
Ah! je n'ai plus d'alarmes.

LA COMTESSE
Que faites-vous?

LE COMTE ORY
pressant la main d'lsolier
Pour moi, plus de frayeur!
Quand cette main est sur mon coeur.

LA COMTESSE
(Il presse ma main sur son coeur.)

ISOLIER
à la Comtesse
Beauté sévère,
Laissez-le faire;
Son bonheur ne vous coûte rien.

LE COMTE ORY
(Grand Dieu! quel bonheur est le mien!)

D'amour et d'espérance, etc.

ISOLIER
De crainte et d'espérance, etc.

LA COMTESSE
De crainte et d'espérance, etc.

Maintenant, je vous supplie,
Soeur Colette, rentrez chez vous.

LE COMTE ORY
à lsolier
Vous quitter... c'est perdre la vie ...
Oui, je demeure à vos genoux.

LA COMTESSE
Je tremble, ô ciel! Que faites-vous?

LE COMTE ORY
se démasquant
Sachez le feu qui me dévore!
C'est un amant qui vous implore.

LA COMTESSE
Ah! grand Dieu! quelle trahison!

LE COMTE ORY
L'amour qui trouble ma raison
Doit me mériter mon pardon.
à Isolier qui veut se lever
Ne m'ôtez point, je la réclame,
Cette main que ma vive flamme...

LA COMTESSE
Ah! comme vous mv pressez!
Laissez-moi.

LE COMTE ORY
embrassant lsolier
Vrai Dieu! Madame,
Peut-on vous aimer assez?

En ce moment un bruit de clairons retentit â la porte du château. Les femmes de la Comtesse se précipitent dans l'appartement en tenant des flambeaux.

LA COMTESSE, puis LE COMTE ORY, puis ISOLIER
J'entends d'ici le bruit des armes,
Le clairon vient du retentir.

LA COMTESSE, ISOLIER
Plus de frayeur et plus d'alarmes,
On vient enfin nous secourir.
J'entends d'ici le bruit etc.

LE COMTE ORY
A quel danger faut-il courir?
J'entends d'ici le bruit etc.
Faut-il quitter autant de charmes?

LA COMTESSE, puis LE COMTE ORY, puis ISOLIER
J'entends d'ici le bruit etc.

LE COMTE ORY
Ô ciel! quel est ce bruit?

ISOLIER
jetant son voile
L'heure de la retraite.
Car il faut partir, Monseigneur.

LE COMTE ORY
le reconnaissant
C'est mon page Isolier!

ISOLIER
Celui que soeur Colette
Embrassait avec tant d'ardeur.

LE COMTE ORY
Je suis trahi! crains ma colère!

ISOLIER
Craignez celle de votre père!
Il arrive dans ce castel.
Entendez-vous ces cris de joie?

LE COMTE ORY
Ô ciel!


SCÈNE ONZIÈME

LA COMTESSE
Vous qui faisiez la guerre aux femmes,
Vous voilà donc mes prisonniers!

LE COMTE ORY
Oui, nous sommes vaincus! à tes pieds, noble dame,
Je demande merci pour tous mes chevaliers.
Pour leur rançon, qu'exigez-vous?

LA COMTESSE
Un gage: votre départ!... évitez le courroux
De leurs maris.

ISOLIER
Par un secret passage
Je vais guider vos pas, et votre page
Fermera la porte sur vous.

LE COMTE ORY
C'est lui qui nous a joués tous.


N° 12 - Finale

LA COMTESSE
Ecoutez ces chants de victoire...
Ce sont de braves chevaliers
Que l'amour ainsi que la gloire
Ont ramenés dans leurs foyers.

LE COMTE ORY
A l'hymen cédons victoire,
Et qu'il rentre dans ses foyers.
Quittons ces lieux hospitaliers.

SES COMPAGNONS
Quittons ces lieux hospitaliers.

Isolier ouvre à gauche une porte secrète par laquelle le comte Ory et ses chevaliers disparaissent En ce moment s'ouvrent les portes du fond.
Le Duc et les chevaliers revenant de la Palestine entrent, précédés de leurs écuyers, qui portent des étendards et des faisceaux d'armes.
Dame Ragonde et les autres femmes se précipitent dans les bras de leurs maris, et la Comtesse dans ceux de son frère; puis Isolier va baiser la main du comte de Formoutiers, qui le relève et l'embrasse pendant le choeur suivant.


TOUS
Honneur aux fils de la victoire,
Honneur aux braves chevaliers,
Que l'amour ainsi que la gloire
Ont ramenés dans leurs foyers!